Santé : du courage politique pour une réforme de fond

17 Octobre 2024 Histoire

Les mesures du gouvernement Barnier dans la santé signent une précipitation qui va accroître les inégalités d'accès aux soins, estime Frédéric Cherbonnier en regrettant que les pistes de gains d'efficacité, bien connues, restent aux oubliettes.

Une réduction de nos dépenses publiques peut être obtenue de façon efficace à condition de prendre le temps, via des réformes de structure. Mais le faire dans la précipitation aboutit généralement à des mesures qui vont peser sur la croissance et accroître les inégalités. Ce que s'apprête à faire le gouvernementdans le domaine de la santé en est une bonne illustration.

D'après ses annonces, alors que le tarif de la consultation chez le généraliste doit passer à 30 euros, l'assurance maladie ne remboursera plus que 60 % (contre 70 % actuellement), le reste étant à la charge des mutuelles. Certes, cela devrait permettre de réduire de 1 milliard d'euros le déficit de la Sécurité sociale, et une partie des ménages les plus modestes ne sera pas affectée puisque cela ne concernera ni les personnes bénéficiant de la C2S (complémentaire santé solidaire) ni celles déclarées en ALD (affection de longue durée). Mais il s'agit non d'un gain d'efficacité mais d'un simple transfert des dépenses du contribuable vers l'usager qui va malgré tout réduire le budget des ménages (du fait de l'augmentation des tarifs des mutuelles) et limiter l'accès à la santé des plus modestes.

D'après les données du ministère de la santé, seulement 96 % des Français âgés de 15 ans ou plus sont couverts par une complémentaire santé - en comptant ceux bénéficiant de la C2S. Plus de 2 millions de personnes n'ont ainsi pas accès à de telles couvertures et sont conduites à renoncer à certains soins, en particulier tout ce qui concerne le suivi des maladies cardiaques et les soins dentaires, optiques et auditifs. Cela explique en bonne partie que la France soit l'un des pays d'Europe où les inégalités sociales de santé soient les plus marquées.

Et, au-delà des questions d'ordre éthique, cela a un coût pour la société. Plus de 250.000 hospitalisations pourraient être évitées chaque année en France. L'un des principaux facteurs déclenchants est de ne pas consulter son médecin traitant dans l'année. Nul doute que la couverture insuffisante par les complémentaires santé joue un rôle dans cette situation.

Nous sommes le seul pays au monde à enchevêtrer ainsi un système public d'assurance maladie financé par des prélèvements obligatoires et un système d'assurance privé complémentaire. Comme l'avaient déjà noté il y a dix ans les économistes Brigitte Dormont et Jean Tirole dans un rapport du Conseil d'Analyse Economique, cela induit un surcroît de frais de gestion pour notre système de santé de l'ordre de 6 milliards d'euros par an !

Les hôpitaux de Paris avaient bien illustré ce problème en déclarant en 2020 que 1.500 emplois administratifs pourraient être supprimés en leur sein, dégageant ainsi de précieuses marges budgétaires, si les soins y devenaient entièrement remboursés par l'assurance maladie (contre un remboursement à 80 % aujourd'hui). Des milliers d'emplois tant du côté des hôpitaux et de l'assurance maladie que de celui des mutuelles sont ainsi consacrés à une tâche inutile, celle consistant à doublonner la gestion administrative des dépenses de santé. Le Haut Conseil pour l'Avenir de l'Assurance Maladie a rendu un rapport sur cette question en 2022, proposant notamment un scénario consistant à « décroiser » les domaines d'intervention de l'assurance maladie et des mutuelles, chacun devenant en charge d'un panier de soins distinct.

Ceci n'est qu'un exemple, et les pistes pour générer des gains d'efficacité sont nombreuses. Elles portent notamment sur la régulation du prix du médicament (moins rembourser les médicaments au service médical rendu insuffisant) et sur la régulation de la médecine de ville (conditionner la rémunération des médecins à leurs pratiques). Toutes ces pistes sont bien identifiées par les pouvoirs publics, mais restent aux oubliettes faute de couragepolitique.

Article paru dans Les Echos, no. 24319, le 17 octobre 2024

Illustration : Photo de Hush Naidoo Jade Photography sur Unsplash