L'Allemagne s'apprête à voter le 24 septembre pour renouveler les députés du Bundestag. Les leaders des deux principales formations, la chancelière Angela Merkel (CDU/CSU) et son challenger Martin Schulz (SPD), n'ont plus que quelques jours pour convaincre les électeurs du bien fondé de leurs points de vue respectifs sur des sujets comme l’éducation et la sécurité nationale. En revanche un sujet semble mettre les deux partis d’accord, l’énergie. L’Allemagne a amorcé un tournant dans sa politique énergétique, « die Energiewende »[1], pour rendre la production d’électricité plus sûre et plus propre. Cette politique s'appuie sur la montée en puissance des énergies renouvelables, la sortie du nucléaire et la réduction de la dépendance au charbon.
Le défi de l’intermittence
La transition énergétique allemande, une des plus ambitieuses en Europe, pose d'importants défis techniques du fait de l'intermittence des principales énergies renouvelables, l'éolien et le solaire. Ces sources d'énergie renouvelables ont des qualités indéniables: l'énergie primaire qu'elles utilisent est gratuite, leur approvisionnement en énergie primaire ne dépend pas des coups de sang de potentats étrangers ou de révolutions, et elles n'émettent ni particules ni gaz à effets de serre. Mais les éoliennes produisent de l’électricité au rythme des régimes de vent, les panneaux solaires uniquement en phase diurne et à condition que l’ensoleillement soit suffisant. Les énergies renouvelables intermittentes ne pourront donc pas combler le vide laissé par les centrales au charbon et les centrales nucléaires pendant les nuits sans vent et les jours où le brouillard s’installe sur les rives du lac de Constance. Ce sont des substituts imparfaits des centrales conventionnelles. Avec deux cents éoliennes d’une capacité de 5MW on obtient l'équivalent d’une centrale nucléaire de 1 GW mais uniquement en termes de puissance. Les deux technologies sont totalement différentes en termes d'énergie produite au cours de l'année car il ne sort pas d'électricité des fermes éoliennes quand la vitesse du vent est trop faible.
Comment alors, avec un parc de production dominé par les énergies renouvelables, répondre à la demande d'énergie électrique aux périodes où la nature ne fournit pas les énergies primaires nécessaires ? Doit-on multiplier la capacité installée par rapport aux centrales conventionnelles en comptant sur des corrélations négatives entre régimes de vent et sur la diversité des zones d'ensoleillement ? Doit-on investir dans des installations de stockage de l’électricité pour lisser les écarts entre production et consommation instantanées? Faut-il investir en interconnexions pour jouer sur les différences temporelles et géographiques des pays voisins ? Ou encore, faut-il revoir nos modèles de consommation et accepter que l'offre naturelle d'électricité rythmera dorénavant notre existence?
La variabilité des énergies éolienne et solaire
Dans un article récent,[2] l’économiste Hans-Werner Sinn étudie ces options pour le mix énergétique allemand. Il se base sur des données de production et de consommation de l’année 2014. Le premier constat est que la production d’électricité éolienne et solaire est très volatile et bien au dessous de la capacité de production comme le montrent les deux graphiques ci-dessous.
Que les technologies concernées n'atteignent jamais leur pleine capacité n'est pas étonnant puisque l'input en énergie primaire, vent et rayonnement solaire, est par définition hors du contrôle humain. C'est le rapport entre capacité utilisée et capacité installée qui surprend: en moyenne 17% pour l'éolien, 10% pour le solaire. Les capacités installées sont donc un mauvais indicateur de la pénétration de ces technologies.
Deuxième constat, la variabilité n’est pas seulement quotidienne ou hebdomadaire, elle est aussi annuelle. En moyenne il y a moins de solaire en hiver qu'en été et moins d’éolien en été qu'en hiver, ce qui est a priori favorable en termes de disponibilité puisque les deux sources sont complémentaires sur l'année. Mais dans une perspective de développement à très grande échelle de ces énergies, leur irrégularité oblige à se poser la question de leur répartition temporelle par stockage pour répondre à la demande.
A défaut de l'électricité, stockons l'eau
Le stockage d'électricité à grande échelle se fait encore principalement sous forme d’eau que l'on fait remonter grâce à des pompes électriques dans les réservoirs des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) avant de la turbiner et d'injecter l'électricité produite dans le réseau. Un stockage sur une base quotidienne ou hebdomadaire pour pallier le déficit énergétique ne suffit pas. Même si on pompe de l’eau pour remplir les réservoirs pendant la nuit afin de garantir un approvisionnement pendant la journée quand le vent et le soleil font défaut, il manquera de l’eau à la fin de l’été pour servir la demande. Pour évaluer les besoins en stockage, Sinn fait l’exercice suivant : il calcule l’énergie éolienne et solaire qui doit être stockée pour garantir la même puissance tout au long de l’année, en l'occurrence la capacité moyenne utilisée qui, pour l'Allemagne en 2014, est de 9.55 GW (5.85 GW pour l’éolien plus 3.7 GW pour le solaire). Les résultats sont représentés dans le graphique ci-dessous en TWh par la courbe blanche intitulée « Wind and solar power ».
Le stockage se fait principalement en hiver et au printemps. Le pic de stockage a lieu fin août, puis les réservoirs sont vidés au cours de l'automne. Il faut stocker jusqu’à 6.89 TWh d’énergie sous forme d’eau disponible dans les réservoirs pour compenser la variabilité de la production. Quand on sait que l’Allemagne a actuellement 35 STEPs d’une capacité total de 0.038 TWh, on voit le chemin à parcourir.
Considérons maintenant le profil annuel de demande observé et non une demande d'électricité constante au cours du temps. La dynamique du stockage nécessaire est alors totalement différente. Elle est représentée par la courbe grise étiquetée « Consumption » qui culmine en octobre avec 11.18 TWh accumulés dans les STEPs. Ajoutons maintenant la production des centrales conventionnelles. Supposons qu’elles fournissent constamment tout au long de l’année leur puissance moyenne utilisée en 2014 à savoir 48 GW. La dynamique de stockage est alors représentée par la courbe noire qui culmine à 11.29 TWh. L’apport des centrales ne permet donc pas de réduire la capacité totale des STEPs.
Le problème s’aggrave avec l’accroissement de la pénétration des renouvelables : un doublement et un triplement des renouvelables porteraient les besoins en capacité de stockage à 15.24 TWh et 22.10 TWh respectivement, soit 14 153 et 20 517 STEPs ! Sans parler du coût financier, le coût environnemental de la construction de tant de STEPs est prohibitif et il n'existe probablement pas de sites (même souterrains) pour les accueillir.
Les simulations de Sinn suggèrent qu’une meilleure gestion de la demande ne résout pas le problème de l’intermittence. Transférer une partie de la consommation vers les heures creuses ou lorsqu’il y a de l’énergie éolienne ou solaire permet d’atténuer la volatilité journalière mais pas saisonnière. Les besoins en stockage sont donc inchangés. Une autre solution consiste utiliser les capacités de stockage de la Norvège dont la production électrique est presque entièrement d'origine hydraulique. Cela suppose d’accroitre l'interconnexion entre les deux réseaux électrique par la construction de nouvelles lignes à haute tension et l’intégration des deux marchés de gros, mais aussi que les Norvégiens disposent des capacités de stockage des excédents d'énergie allemande. Les bénéficiaires seraient les producteurs hydroélectriques norvégiens qui pourraient acheter l’électricité produite par le vent et le soleil de l’autre côté de la Mer du Nord à prix cassés, voire négatifs.[3]
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Les coûts économiques associés à l’intermittence des renouvelables et aux options techniques et économiques destinées à les réduire sont maintenant bien connus. Dans un travail de recherche récent,[4] nous avons analysé comment ils s’articulent avec les politiques publiques de support aux renouvelables. Les simulations de Sinn ont le mérite de quantifier monétairement ces coûts pour l’Allemagne. Ils font partie de la facture de l’Energiwende. Les citoyens allemands devraient en être informés pour voter en connaissance de cause. D'autant que la différence entre la transition française et le virage allemand dépasse la subtilité sémantique. A 180° non seulement un virage est difficile à négocier mais on sait vers quoi il nous ramènerait: un monde dans lequel la sécurité de la fourniture électrique ne peut pas être garantie.
[1] Wende signifie tournant, virage, revirement.
[2] "Buffering volatility: A study on the limits of Germany’s energy revolution", European Economic Review, juin 2017; http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0014292117300995?via%3Dihub
[3] Dans un prochain blog, nous expliquerons pourquoi les prix de gros de l’électricité sont parfois négatifs, notamment en Allemagne.
[4] Stefan Ambec et Claude Crampes, "Decarbonizing electricity generation with intermittent sources of energy", TSE juillet 2017; https://www.tse-fr.eu/sites/default/files/TSE/documents/doc/wp/2015/wp_tse_603.pdf