BP et TotalEnergies ont acquis le droit d’installer et d’exploiter 7 gigawatts (GW) d’éoliennes en mer Baltique et en mer du Nord pour un montant de 12,6 milliards d’euros (Agence fédérale des réseaux, Bundesnetzagentur, 12/07/2023). Pour WindEurope, une association qui promeut l’énergie éolienne en Europe, le versement de cette somme au gouvernement allemand est contreproductif et la procédure d’allocation des droits doit être radicalement réformée. Que valent les arguments de WindEurope ?
Procédures d’allocation
Quand un petit nombre de candidats se présentent pour acquérir un bien disponible en quantité limitée, qu’il soit privé ou public comme ici des zones de l’espace maritime, on peut répartir le bien de trois façons. D’abord par tirage au sort, ce qui a l’avantage de l’équité mais ne garantit pas que les lauréats seront les mieux à même de valoriser l’objet de la loterie. Ensuite par une procédure administrative, que les anglo-saxons appellent « concours de beauté », dont le résultat dépend de la compétence et de l’objectivité des membres de la commission chargée du choix. Enfin, il y a les enchères, qui obligent les candidats à dévoiler leur estimation de la valeur de l’objet à adjuger et qui permettent au vendeur d’encaisser des ressources. Le gouvernement allemand s’en est remis à une procédure d’enchères pour attribuer quatre sites destinés à des fermes éoliennes, trois d’une capacité individuelle de 2 GW en mer du Nord et un d’une capacité de 1 GW en mer Baltique.
Les candidats concouraient sur chaque site en soumettant leur demande d’aide publique par kilowattheure produit, la plus faible demande devant emporter l’enchère. Mais, à l’issue de cette phase, il est apparu que sur les trois sites de Mer du Nord huit candidats demandaient une aide nulle, et pour le site de la mer Baltique ils étaient neuf dans la même situation. Pour les départager, l’Agence fédérale des réseaux a alors ouvert une procédure, dite dynamique, en application de la loi allemande (WindSeeG) : sur chaque site, les candidats restants devaient annoncer combien ils étaient prêts à payer par mégawatt (MW) de puissance à installer. Les offres se faisaient par enchères ascendantes en ligne au cours d’une succession de sessions horaires. Les enchérisseurs devaient proposer 30 000 euros minimum par MW au premier tour, puis, à chacun des tours suivants, augmenter leur offre d'autant jusqu’au premier abandon enregistré. A partir du premier abandon, les enchères se faisaient par paliers de 15 000 €/MW. Selon les sites, il a fallu de 55 à 72 sessions pour clôturer les marchés. Les gagnants sont BP pour 2 sites en mer du Nord et TotalEnergies pour les deux autres sites. Les enchères gagnantes vont de 1,56 millions d’euros/MW à 2,07 millions d’euros/MW.
Les objections de WindEurope
Le protocole en vigueur en Allemagne pour l’attribution des sites offshore est jugé de façon très critique par l’association WindEurope qui demande la suppression de ces « enchères négatives » (sic). Sa principale objection est qu’elles engendrent des coûts supplémentaires que les promoteurs d'éoliennes en mer devront répercuter, soit en cherchant à réduire les coûts de construction et d’exploitation, soit en augmentant la facture des consommateurs. Et d’ajouter « Tout l'argent payé dans les enchères négatives est de l'argent que nos entreprises ne peuvent pas investir dans d'autres projets d'énergie éolienne. Les gouvernements européens ne devraient donc pas suivre l'exemple allemand en matière d'enchères négatives. »
Faire payer les entreprises qui veulent construire et exploiter des fermes d’éoliennes se justifie par le fait que les équipements à implanter nécessitent de grandes surfaces de l’espace maritime public. D’autre part, l’électricité produite par les éoliennes doit être acheminée jusqu’aux lieux de consommation. Or, il est prévu que 90% des gains de l’enchère seront versés à partir de 2030, date de la mise en exploitation, en 20 tranches annuelles aux gestionnaires de réseau chargés des connexions entre les fermes et la côte. Que les travaux de connexion figurent dans les comptes des opérateurs d’éoliennes ou dans ceux des gestionnaires de réseau, in fine ce seront toujours les consommateurs (ou les contribuables) qui en supporteront la charge. De plus, l’échelonnement du paiement facilite le règlement de la charge financière. Pour ce qui est des autres recettes de l’enchère, 5% doivent être versés dans l’année qui vient au budget fédéral pour la conservation des fonds marins, et les 5% restants pour le soutien des activités de pêche durables, deux activités directement touchées par l’implantation des éoliennes.
Gains comptables et gains économiques
Pour beaucoup d’observateurs et pour les perdants de l’enchère, par exemple le danois Orsted, le prix à régler (en moyenne 1,8 millions d’euros du MW) est excessif. Effectivement, sur un plan purement comptable, il n’est pas sûr que l’opération se révèle profitable car la hausse des prix de l’énergie et des matières premières augmente fortement le coût des installations en mer. Par ailleurs, les deux gagnants devront effectuer des études préalables sous leur propre responsabilité avant de pouvoir installer un parc éolien car les sites mis aux enchères n'ont pas fait l'objet d'une enquête préliminaire du gouvernement. La dérive des coûts observée actuellement pose des problèmes de rentabilité. Ainsi, le 20 juillet on apprenait que le suédois Vattenfal suspendait son projet de Norfolk Boreas aux Royaume Uni (1,4 GW) en raison d’une hausse des coûts de 40%. Mais on peut penser que pour les deux gagnants des enchères allemandes, l’intérêt de l’opération va au-delà de l’aspect purement comptable puisque la création des fermes éoliennes permet aussi aux géants pétroliers de verdir leur portefeuille d’activités et leur image.
Pour les consommateurs d’électricité, voir qu’une partie des profits que BP et TotalEnergies ont engrangés pendant la récente crise de l’énergie est investie dans les énergies renouvelables est une bonne nouvelle. On suivra de près les prochaines ouvertures de marchés d’énergies renouvelables pour voir si cette réorientation des activités des deux groupes s’inscrit dans la durée.
Publié dans La Tribune, le 6 septembre 2023.
Crédits photo : Nicholas Doherty sur Unsplash